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Les Chrétiens et les Musulmans Face au Terrorisme Religieux en Afrique Subsaharienne

Christians and Muslims in Africa 615w (att Emilio Labrador)

Below is the original French version of this week's Southern Voices blog post, written by Ludovic Lado.

Du 21 au 23 Septembre 2013 une soixantaine de personnes ont perdu la vie suite à l'attaque du centre commercial Westgate à Naïrobi (Kenya) par une bande terroriste à connotation religieuse connue sous le nom de Shebabs.  Ils n'en étaient pas à leur premier forfait car depuis quelques temps ils attaquent des églises et des bus dans ce pays en signe de représailles à l'intervention kényane en Somalie. Une semaine après, Boko Haram, un autre groupe djihadiste massacrait une quarantaine d'élèves dans un collège agricole d'une ville du Nord du Nigéria pour marquer leur opposition à l'école occidentale qu'ils considèrent comme un péché. Depuis 2009, les attaques de cette secte islamiste ont fait des milliers de morts. Le radicalisme religieux terroriste constitue aujourd'hui une réelle menace pour la durabilité de la paix en Afrique, surtout dans l'espace sahélo-saharien qui ces dernières décennies est devenu le repère principal de l'activisme des mouvements djihadistes désormais capables de faire des alliances. Le Mali a récemment vu sa souveraineté mise à mal par une coalition de groupuscules qui instrumentalisent le djihadisme à des fins économiques et politiques.  Le terrorisme à connotation religieuse gagne donc du terrain en Afrique subsaharienne et selon le politologue français Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « les formes terroristes d'un islam radical peuvent être considérés comme un phénomène nouveau… Nous sommes temoins de la criminalisation d'une insurrection religieuse, au nom d'un islam radical. »  On assiste à « une porosité entre activisme religieux et criminalité ».

L'Islam radical et la Polarisation

Cependant, ce qu'il faut craindre d'avantage c'est la menace que représente cette infiltration du radicalisme religieux en Afrique subsaharienne pour la cohabitation habituellement pacifique entre les chrétiens et les musulmans. L'Islam africain subsaharien est connu pour sa tolérance et sa capacité à s'adapter à la différence religieuse. Mais si on n'y prend pas garde, les choses peuvent changer au profit du radicalisme aussi bien chrétien que musulman.  En effet, les analystes montrent que la mondialisation de l'Islam africain  l'a mis « en contact avec ses versions les plus conservatrices et radicales », si bien que « depuis trois décennies, des dynamiques de recomposition du champ religieux en Afrique associent les acteurs économiques et intellectuels locaux aux acteurs religieux transnationaux entrainant une redéfinition des normes sociales de l'espace public et de la région » sahélo-saharienne.  Bien évidemment, le radicalisme religieux violent est constamment condamné par les autorités religieuses musulmanes et chrétiennes de la plupart des pays africains. Surtout que les victimes des groupes islamistes violents ne sont pas seulement des non-musulmans mais aussi des musulmans de l'Islam confrérique africain souvent perçus par les réformateurs comme un islam corrompu par les pratiques hétérodoxes. Mais il n'en reste pas moins que le djihadisme terroriste représente une véritable menace pour les relations pacifiques entre chrétiens et musulmans surtout que certains mouvements chrétiens fondamentalistes n'hésitent plus à répondre à la violence par la violence. Là où les églises et chapelles sont brulées, les mosquées le sont aussi, en guise de riposte. L'islamisme violent pourrait provoquer aussi la radicalisation des fondamentalistes chrétiens et exacerber les conflits intercommunautaires.

De plus,  les tentatives de polarisation conflictuelle entre chrétiens et musulmans ne sont plus seulement un tendance spécifique au nord du Nigéria connu pour la récurrence de la violence interreligieuse. Plusieurs pays africains montrent aujourd'hui des signes de vulnérabilité. Pendant la crise politique qu'elle a traversée ces dix dernières années, la Côte d'Ivoire  a échappé de justesse à une tentative d'instrumentalisation de la religion pour transformer un conflit d'abord politique en une confrontation entre un Nord majoritairement musulman et un Sud majoritairement chrétien. Ces dernières années, la Guinée Conakry connaît une récurrence des conflits interethniques qui dégénèrent en confrontations interreligieuses entre chrétiens et musulmans particulièrement dans la région de Nzérékoré située dans la Guinée forestière. En République centrafricaine, la récente prise du pouvoir par le mouvement rebelle Seleka infiltré d'éléments islamistes tchadiens et soudanais s'est accompagnée d'attaques et de pillages systématique d'institutions d'obédience chrétienne, exacerbant ainsi les tensions entre les chrétiens et les musulmans.

L'Avenir du Laïcisme en Afrique

Le problème est réel et se pose aussi en termes de l'avenir de l'Etat laïc en Afrique. L'Afrique reste un continent profondément religieux et le rôle public des religions mérite un peu plus d'attention qu'on ne lui a accordé jusque la.  Du sommet de l'Etat à la base, la grille de lecture religieuse ou mystique de la vie publique reste prédominante.  Il y a lieu de parler d'une voix Africaine de la laïcité et  de la sécularisation qui se démarque bien de la voix occidentale. La plupart des pays africains sont laïcs de par leurs constitutions, ce qui signifie en principe qu'ils ne privilégient aucune religion en particulier.  Même les pays subsahariens à forte majorité musulmane comme le Sénégal, le Mali, le Niger, etc. ont opté pour la laïcité, ce qui donne la possibilité aux minorités chrétiennes ou traditionnalistes de cohabiter pacifiquement avec les musulmans. C'est cet acquis fondamental qui est la cible des mouvements religieux radicaux qui préconisent le retour à des Etats chrétiens ou musulmans.

Bon nombre de sociologues des religions voient dans les radicalismes religieux, toutes religions confondues, une posture réactionnaire ou plus précisément une forme déguisée de protestation sociopolitique contre une forme de marginalisation et d'exclusion exprimée dans un langage antimoderniste et antioccidental.  Quoi qu'il en soit, l'injustice, la pauvreté et les inégalités sociales favorisent la croissance du radicalisme religieux en Afrique. Comme l'écrivent deux analystes au sujet du Mali, « pour les commerçants et les jeunes sans emploi ni ressources, ces groupes terroristes constituent en effet des opportunités importantes de revenus dans des régions dont les habitants s'estiment délaissés et oubliés.»

Des Solutions Collaboratives et Non Violentes

Il s'ensuit que pour contrer ce phénomène qui prend progressivement de l'ampleur dans certaines régions de l'Afrique les solutions sécuritaires et répressives ne suffiront pas. Il faut attaquer les problèmes à la racine, ceux de la pauvreté et de l'exclusion sociale dans bon nombre de nos pays qui exposent une frange de la population, spécialement des jeunes frustrés et exclus des bénéfices de la modernité, à l'endoctrinement religieux fondamentaliste et intolérant. La lutte contre le radicalisme religieux violent en Afrique passe donc aussi par des solutions économiques et politiques.

Cette lutte passe aussi par l'éducation. Les différents Etats doivent faire face à la question de l'endoctrinement religieux. Il conviendra nécessairement d'impliquer les élites religieuses dans la lutte contre le radicalisme religieux, principalement dans la promotion de l'éducation de la jeunesse à la tolérance religieuse. Elle est fondamentale pour la cohabitation pacifique dans un monde irréversiblement pluriel. En Côte d'Ivoire par exemple, pendant la période de la crise qu'a connue ce pays de 2000 à 2011, les élites religieuses regroupées au sein d'une association appelée « Forum des confessions religieuses » a pesé de tout son poids pour empêcher la transformation d'un conflit politique en conflit interconfessionnel. Il y a eu ça et là des tentatives d'instrumentalisation de la religion pour opposer les chrétiens aux  musulmans. Certains incidents visant les églises et les mosquées auraient pu créer des affrontements directs mais les interventions mesurées de leaders religieux ont contenu les frustrations et la Côte d'Ivoire a échappé à l'escalade de la violence religieuse. Le dialogue interreligieux s'avère donc important pour la prévention de violence et à l'heure de la menace du terrorisme religieux, les chrétiens et les musulmans doivent collaborer pour lui barrer la route.

Dr. Ludovic Lado est anthropologue de la religion et chercheur au Centre de Recherche et d'Action pour la Paix (CERAP) à Abidjan.

Crédit Photo Emilio Labrador via Flickr.

About the Author

Ludovic Lado

Former Southern Voices African Research Scholar;
Director of Institute of Human Rights and Dignity, Center of Research and Action for Peace

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The Africa Program works to address the most critical issues facing Africa and US-Africa relations, build mutually beneficial US-Africa relations, and enhance knowledge and understanding about Africa in the United States. The Program achieves its mission through in-depth research and analyses, public discussion, working groups, and briefings that bring together policymakers, practitioners, and subject matter experts to analyze and offer practical options for tackling key challenges in Africa and in US-Africa relations.    Read more