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Mesure de la Pauvreté : Quelle Approche pour l'Afrique?

Measuring poverty I 615w (att Gates Foundation)

 Below is the original French version of this week's Southern Voices blog post, written by Dr. Ibrahim Diarra.

La pauvreté peut se définir comme une situation dans laquelle l'on note une absence de ressources suffisantes pour vivre dignement. En d'autres termes, il s'agit de l'insuffisance de ressources matérielles qui affecte l'accès aux biens matériels suivants : nourriture, eau potable, vêtements, logement. En outre, cette définition s'étend à l'insuffisance de ressources intangibles comme l'accès à l'éducation, l'exercice d'une activité valorisante, le respect reçu des autres citoyens ou encore le développement personnel.

L'on note une prépondérance de la mesure monétaire de la pauvreté, notamment en Afrique où plusieurs considérations sont d'importance. S'il est vrai que la mesure monétaire permet des comparaisons internationales, elle peut comporter cependant des biais, compte tenu du caractère multidimensionnel de la pauvreté. C'est pourquoi, il importe d'envisager d'autres méthodes d'évaluation de la pauvreté.

L'une des préoccupations soulevées par ces différentes définitions de la pauvreté, quoiqu'universellement partagées, c'est qu'elles ne tiennent pas compte de l'avis des agents économiques pour lesquels cette mesure est établie. D'où les interrogations suivantes à savoir : comment peut-on être sûrs que les populations pour lesquelles ces critères qui les classent dans la pauvreté sont-ils connus d'eux et valables à leurs yeux ? Ce qui revient à se demander si l'on peut établir un état de pauvreté d'un agent économique sans s'assurer que celui-ci en est conscient ou non ? Sommes-nous sûrs que les populations des zones rurales, où il n'existe pas d'électricité et qui n'ont pas accès à la télévision, se considèrent comme pauvres ? Ces interrogations nous interpellent en tant que chercheurs africains sur la nécessité de se pencher sur les outils et la méthodologie utilisée pour identifier les pauvres. Cette contribution va se pencher sur trois approches : monétaire, de privation relative et de patrimoine.

Approche monétaire de la pauvreté

Le seuil de pauvreté monétaire est déterminé à partir du revenu des ménages ou des individus. A défaut de disposer d'informations sur le revenu, les dépenses de consommation sont utilisées comme proxy. A ce niveau, il se pose un problème étant donné qu'on fait l'hypothèse que le comportement de dépense du consommateur est toujours proportionnel à son niveau de revenu. En effet, un tel indicateur pourrait classer des individus qui ont un revenu élevé, mais qui ont des dépenses de consommation très faibles, comme pauvres.

En outre, il ne nous paraît pas pertinent de continuer de faire des comparaisons internationales sans que les mêmes variables ne soient utilisées partout. Les dépenses de consommation ne refléteront que la propension à consommer des ménages et non leur capacité d'acquisition des biens et services. C'est pourquoi, il convient de mettre en place pour les pays africains des statistiques qui captent effectivement le revenu des populations, à l'instar de nombreux pays développés, et non de faire une approximation par les dépenses de consommation.

Approche de privation relative de la pauvreté

Cette mesure de la pauvreté s'intéresse à l'accès des populations aux services sociaux de base et à un certain confort. Plus précisément, il s'agit de l'accès à l'éducation, aux soins médicaux, à l'eau potable…, et au confort de l'habitat.

Si dans les pays développés les infrastructures existent, ce n'est pas toujours le cas dans de nombreux pays africains, notamment dans le secteur rural où il se pose le problème de disponibilité de ces infrastructures. En effet, des ménages sont privés de soins de santé ou d'éducation parce que l'école ou le centre de santé n'existe pas ou se situe à une distance très éloignée. On pourrait dire ici qu'on a des pauvres "involontaires". Cette situation a été décrite par Diarra et Kouma (2009) dans leur étude portant sur la détermination d'un noyau dur de la pauvreté dans le milieu rural agricole ivoirien. Il ressort de leurs résultats (à partir des données de l'ENV 2002) qu'il y a plus de pauvres par la méthode de privation relative (69,3%) que de pauvres par la méthode monétaire (50,5%), dans le milieu rural agricole ivoirien en 2002.

Approche patrimoniale  de la pauvreté (ou par les actifs)

La pauvreté patrimoniale se mesure à travers un indicateur composite. Il mesure la possession ou non d'actifs qui constituent le patrimoine.

Le constat qui est fait au niveau rural, c'est que les ménages ont des actifs qu'on ne comptabilise pas toujours alors que leur valorisation peut permettre d'acquérir un revenu qui contribuerait à l'amélioration de leur bien-être. L'idée derrière cette approche, c'est de capter ce que possèdent les ménages. Ainsi, en cas de difficultés financières, il leur sera possible d'user de ces actifs pour les transformer en ressources monétaires éventuellement pour acquérir les biens et services indispensables à la satisfaction de leurs besoins vitaux.

Diarra et Kouma, dans leur étude, montrent qu'à travers cette méthode 22% des ménages sont pauvres, taux très inférieur à ceux de la pauvreté monétaire et de la pauvreté de privation relative.

L'un des constats de ces auteurs est que la rationalité économique n'est pas toujours verifiée dans le secteur rural où il y a une encore une survivance des considérations sociologiques. En effet, ils constatent que malgré la possession d'actifs, les populations ne procèdent pas systématiquement à la transformation de leurs actifs en revenu monétaire, notamment pour la satisfaction de leurs besoins, même de type alimentaire. Ce résultat permet de nuancer l'idée que la mesure de la pauvreté par les actifs pourrait être une approximation de la methode monetaire, comme l'ont montré Sahn et Stifel (2003).

L'une des raisons réside dans le fait que déstocker une partie de leur patrimoine est perçu dans les communautés rurales africaines, comme une perte de son statut social dans la société. Ces actifs sont plutôt utilisés lors des évènements heureux (mariages, baptêmes,…) ou malheureux (enterrements, funérailles,…), qui sont des occasions pour certains de montrer ou d'affirmer leur position sociale dans la communauté.

Quelle approche est la meilleure ?

Au regard de ces différents constats nous nous convaincons du fait que le phénomene de la pauvreté, qui comprend de nombreuses dimensions, ne peut être apprehender par une seule mesure. Cette position est défendue par de nombreux auteurs qui considèrent la pauvreté comme un phénomène multidimensionnel et qu'il faille développer des mesures qui prennent en compte cette multidimensionnalité.

Selon Bibi et El Lahga (2006), depuis le début des années 90, les données sur des attributs autres que le revenu, sont de plus en plus disponibles. L'approche multidimensionnelle devient donc plus que jamais recommandée afin de mieux appréhender les performances d'un pays donné en matière de lutte contre la pauvreté dans ses divers aspects.

Les conclusions de l'équipe d'experts, dirigée par Joseph Stiglitz à la demande du Président Français M. Nicolas Sarkozy en février 2008, mettent l'accent sur le maintien de cette mesure, mais en y adjoignant des mesures complémentaires pour tenir compte de l'aspect multidimensionnel de la pauvreté.

Pour appréhender la pauvreté en Afrique, il nous paraît important de privilegier l'approche multidimensionnelle. Cependant pour une meilleure mesure de la pauvreté monetaire qui reste encore valable, il convient de mettre en place des mécanismes de collecte qui permettent d'avoir accès à des informations fiables sur le revenu des ménages.

Il appartient donc aux chercheurs africains d'identifier des outils appropriés pour capter le phénomène de la pauvreté en Afrique. Dans cet exercice, il faudra impliquer toutes les couches sociales afin d'aboutir à une définition de la pauvreté qui tienne compte de la perception de ces differentes composantes de la société et des réalités propres à ce continent.

M. Diarra est Eeonomiste rural, Enseignant-Chercheur à l'Unité de Formation et de Recherche des Sciences Economiques et de Gestion ; Directeur du Centre Ivoirien de Recherches Economiques et Sociales (CIRES).

Crédit Photo Gates Foundation via Flickr Commons.

About the Author

Ibrahim Diarra


Africa Program

The Africa Program works to address the most critical issues facing Africa and US-Africa relations, build mutually beneficial US-Africa relations, and enhance knowledge and understanding about Africa in the United States. The Program achieves its mission through in-depth research and analyses, public discussion, working groups, and briefings that bring together policymakers, practitioners, and subject matter experts to analyze and offer practical options for tackling key challenges in Africa and in US-Africa relations.    Read more